Il n'y a pas de "monde" du cinéma, le cinéma n'est pas, ou ne devrait
pas être, un monde à part, coupé des choses, des gens, des sentiments
et des saisons.
En tant qu'art, il doit être un moyen d'expression, et plus que tout,
un moyen de communication. Avec son support propre, les images.
Le cinéma apporte, par rapport à la photographie, le temps et
le mouvement d'abord, le son ensuite.
Enfin, et comme vecteur de création, le cinéma est d'abord montage,
juxtaposition et superposition d'images.
L'image est un des grands mythes du 20ème siècle, objet de fascination et
de culte. Elle a conquis, jusqu'à la politique, par son pouvoir de conviction,
souvent utilisée comme preuve. Divine puisque qu'irréfutable.
"Je ne crois que ce que je vois". Alors on nous a montré.
On a tous vu, les 2 tours s'effondrer des dizaines de fois, le grand oral
réussit du gouvernement Bush devant l'ONU visant à démontrer,
preuves à l'appui, que l'Irak détenait des armes de destruction massives,
la libérationd'Ingrid Bétancourt, filmée par chance (sic) par un
vidéaste amateur.
Et la vérité dans tout ça ?
Ou j'essaye donc bien de vous mener ?
On parlait de cinéma, il me semble. Et voilà qu'à Cannes, sort un film
ovni, un film réfractaire à toute catégorisation, et que l'on a tant bien
que mal classé comme "documentaire d'animation". Le nom fait sourire.
Je veux parler du film
Valse avec Bachir d'Ari Folman, (film en ce moment
en salles) qui est en même temps un film sur la mémoire, et ses absences,
un film sur l'absurdité de la guerre, et surtout un témoignage sur un fait
historique : l'invasion israélienne du Liban sud en 1982, et le massacre
de Sabra et Shatila, deux camps de réfugiés Palestiniens.
Ce film prend donc le parti osé de témoigner d'un fait historique, par
des images entièrement dessinés sur ordinateur. Et s'assume comme tel.
Il n'y a qu'à la fin, toute fin, du film, ou l'on se retrouve face à des images
d'archives, des camps et du lieu du massacre. On ne peut pas pour autant
parler d'un retour à la réalité, sinon d'une manière de souligner le propos,
et d'insister sur la gravité des faits, auxquels le réalisateur est directement
lié. (c'est d'ailleurs tout le cheminement du film, qui est une expédition dans
la mémoire du réalisateur, pour savoir, en tant que jeune soldat israélien,
ou il était ce jour là et quelle a pu être son implication dans ce massacre).
Moins que les qualités du film (grand absent du palmarès à Cannes),
je veux surtout insister sur ce qu'il représente. Voilà que sort un film
en 2008, et qu'il rend, par son existence même, la séparation
(osons le mot "frontière") entre fiction et documentaire obsolète,
inappropriée, dépassée.
Les questions qu'il soulève (qu'est ce qu'un documentaire, comment peut
on témoigner d'un fait, quel lien entre image et vérité (...) ) sont
passionnantes, et je veux surtout saluer la démarche du réalisateur,
et l'existence d'un cinéma qui chamboule, qui questionne,
qui remet en cause, qui ose, et qui sait s'affranchir des académismes,
et des petites cases dans lequel on aurait voulu l'enfermer.
Il faudrait aussi citer le film
Redacted de Brian de Palma, véritable
travail sur l'image et leçon de cinéma, qui offre une autre vision de
la guerre en Irak, utilisant virtuosement les différentes manières
de faire de l'image aujourd'hui.
Il y a une fertilité, une ingéniosité du cinéma pour mettre en
perspective, créer des débats, une tendance avant gardiste qui ne
peut que m'enchanter.
(la nouvelle vague a précédé de presque 10 ans Mai 68)
Le cinéma n'est pas, ou ne devrait pas être, un "art de professionnel".
Il faut détruire cette idée, démystifier la chose, rendre humain
le processus. Dépasser cette peur de l'image. Le cinéma n'est ni un
support, ni un lieu, c'est une démarche. Souvent tactile, parfois physique.
Nous sommes des artisans de l'image.
Je rêve d'un cinéma en phase avec son époque, décomplexé, libre,
et surprenant. Non, le cinéma ne mourrera pas avec l'avènement
du DVD et du home cinéma, tout ceci n'étant qu'un
"témoignage du cinéma".
On ne peut pas nier le fulgurant développement d'internet,
et sa nouvelle importance dans la relation "consumériste" des gens
à l'image. L'avènement du tout, tout de suite. Mais ne diabolisons
pas internet. Comme espace de liberté, on peut y trouver du pire,
mais aussi du bien meilleur. A nous de le reprendre à notre compte,
d'y imposer nos idées, notre vision des choses, et du "bien meilleur".
Je ne parlerais même pas de la génération blog, tout comme la
possibilité d'avoir un accès à une information libre, indépendante,
et de qualité. Je parlerais de
Revolta, projet bancal, film infinanceable
par les voies traditionnelles, et qui a vu le jour grâce à la volonté,
a conviction ( et la folie ?) de quelques anciens de Canal +.
Ce film est avant tout un road trip, une
expérience humaine(autant vécue que filmée), et le premier long métrage mis à disposition
gratuite des spectateurs sur dailymotion.
http://www.dailymotion.com/relevance/search/revolta/video/x4r81v_revoltakilometre-zero-le-film_shortfilmsC'est une possibilité plutôt novatrice de faire se rencontrer un film
et son public, résultat d'une volonté de partager, et de faire partager,
l'auteur encourageant les spectateurs à diffuser son oeuvre.
Quelques mois plus tôt, Dailymotion avait déjà mis en ligne
Poudre aux yeux, documentaire de 71 minutes sur la lutte de simples
citoyens pour fédérer les sans abris dans la lutte pour la défense de leurs droits.
Internet comme structure de diffusion, comme moyen d'échange, comme
nouveau vecteur d'un cinéma fauché et indépendant ?
Internet est encore tout jeune, il nous faudrait grandir avec lui,
et se ré approprier cet espace, pour multiplier la somme des possibles.
Enfin,j'aimerais saluer la démarche d'amis à moi,
tombés assez jeunes dans la marmite du cinéma, et qui ont créé
leur propre collectif.
Pour se donner une vitrine, ils ont aussi montés un site internet,
cinema-boycott.org,
et partagent ainsi leur vision, leur démarche cinématographique.
Ils ont organisés une projection à L'Etna (association de cinéastes
dans le 11é) la semaine dernière, mais je m'y suis pris trop tard
pour vous avertir ...
Pourquoi ai-je donc pris le temps de parler de tout ça ?
Pour terminer par cette affirmation, il n'y a qu'un seul cinéma,
qui chaque jour se réinvente, se remet en question, bouscule et interpelle.
Et qui parfois, au détour d'un plan, d'une réplique ou d'un silence,
sait nous ouvrir des horizons nouveaux, nous amener à des sentiments
enfouis, et poser les problématiques de demain.