jeudi 2 décembre 2010

Morceau Choisi

"Génération sacrifiée" ?

Sacrifié toi-même

 " (...) il faut se demander si ce n’est pas cette rencontre violente avec le marché du travail et avec une certaine réalité sociale et économique qui amène certains d’entre nous à retarder ou à saborder leur véritable insertion - et ce plus ou moins consciemment. (...) refuser de se former, apprendre de manière discontinue et en dehors des parcours scolaires ou universitaires, apprendre par plaisir et sans souci de compétences, travailler à droite et à gauche en fuyant l’engagement de long terme, choisir sa mobilité, travailler par passion, assumer ou subir des périodes d’inactivité, vivre de peu et réduire ses besoins… et surtout, ne pas avoir envie de travailler. (...) "L’insertion" est bien une norme, et non une quelconque logique ou état de nature. "S’insérer", comme si tout revenait à un choix entre dedans et dehors.

Marche ou Crève. Avec eux ou contre eux. "

 Article à lire dans son intégralité sur Article XI 

dimanche 10 octobre 2010

Morceau Choisi

D'autres essayeront,
d'autres échoueront.
Il suffira que l'un d'eux réussisse ...

" Avec le "Che", une certaine révolution est morte, celle de Don Quichotte, celle de la jeunesse et du romantisme, celle de l'indignation et de la folie. (...) Il ne reste donc plus en présence que trois forces :
  - Les armées entretenues, équipées, coiffées par les Américains, des armées qui ne font pas seulement de la répression, mais s'occupent de plus en plus de tâches civiles. Ou elles resteront fidèles à leurs maîtres, ou bien c'est d'elles que naîtra une autre révolution.
  - L'Eglise, s'appuyant d'un côté sur les partis démocratiques chrétiens existant, se cherchant de l'autre une clientèle révolutionnaire et jeune. Elle reste l'inconnu. Mais le prêtre comme l'officier, s'il reste trop longtemps au contact de la misère et de l'injustice, devient facilement un révolutionnaire et jette s'il le faut le froc ou l'uniforme aux orties.
  - Les partis communistes. Ils espèrent s'être débarrassés avec la mort du "Che" de l'hérésie castriste et reprendre leur action "unitaire". Mais ils oublient qu'il leur manquera maintenant ce sang nouveau qui vient de la jeunesse. Par un trop grand soucis de tactique, ils se sont compromis avec les gouvernements et les polices. Ils sont vieux et démodés, ils sont d'un autre temps. Ce qu'ils proposent n'est plus souvent que de l'antiquaille, et des mots creux. Ils ne conviennent plus au continent latino-américain. En vérité, ils ont cessé d'être révolutionnaires.
Il reste heureusement encore à ce pays des rêves et des espérances. Pour s'être essayé au personnage de Bolivar, mais dans un mauvais moment, avec de mauvaises méthodes, le "Che" en est mort.
D'autres essayeront, d'autres échoueront. Il suffira que l'un d'entre eux réussisse..."

Jean Larteguy, Les guérilleros (1967)

mardi 28 septembre 2010

Morceau Choisi

Une déambulation,
une sorte de dérive politique au parcours imprévisible et insaisissable.

" Car il est grand temps de remettre en cause le principe même de la manifestation, cette promenade symbolique conçue pour vider les gens de leur énergie. La manif est calquée sur le mode du scrutin électoral : faire nombre. Mais ce nombre, converti en masse, n'a aucune importance stratégique puisqu'il s'agit seulement de se montrer. Et non pas de montrer le péril que constitue la multitude assemblée, qui pourrait bien mettre en jeu cette puissance ; montrer son désarmement initial et final, son respect du parcours imposé. (1) " Démonstration de force " annoncent les médias au lendemain d'une journée de manifestations syndicales. Depuis bien longtemps les manifs ne sont plus qu'une manifestation de faiblesse - tant de gens dans la rue pour faire si peu de choses ! Et malgré le caractère vaguement festif qu'elles cherchent à se donner, les manifs n'atteindront jamais la ferveur d'une procession religieuse ou le caractère délirant d'un cortège carnavalesque.

On conçoit sans mal que les jeunes excités de la banlieue ne s'y sentent pas chez eux, en plus du fait qu'elles se déroulent toujours loin de leur territoire. Et même l'habituel affrontement de fin de manif ne les attire pas plus que ça - en septembre 1990 , déjà, les anars se plaignaient de ce que les bandes de banlieue ne soient intéressés qu'au pillage du quartier Montparnasse, les laissant seuls pour affronter les CRS devant l'Assemblée nationale en fin de journée. C'est que, pour ces jeunes, l'affrontement avec la police n'a rien de symbolique : c'est une guerre larvée, au quotidien, dans leur cité de banlieue où il faut défendre un territoire. " 

1 - Un des événements les plus remarquables, lors des événements anti-CPE
du printemps 2006, aura ainsi été cette nuit d'avril où plusieurs milliers de
personnes se déplacèrent de façon spontanée dans Paris, saccageant au passage
ce qui méritait de l'être : là, point de manifestation mais  une déambulation,
une sorte de dérive politique au parcours imprévisible et insaisissable (...) . 

Alèssi Dell'Umbira, Rage et Révolte  (2009)

samedi 25 septembre 2010

Morceau Choisi

" Après avoir éliminé tous les critères proposés pour distinguer la barbarie de la civilisation, on aimerait au moins retenir celui-là: peuples avec ou sans écriture, (...) Pourtant, rien de ce que nous savons de l'écriture et de son rôle dans l'évolution ne justifie une telle conception. (...)
Si l'on veut mettre en corrélation l'apparition de l'écriture avec certains traits caractéristiques de la civilisation, il faut chercher dans une autre direction. Le seul phénomène qui l'ait fidèlement accompagné est la formation des cités et des empires, c'est à dire l'intégration dans un système politique d'un nombre considérable d'individus et leur hiérarchisation en castes et en classes. Telle est, en tout cas, l'évolution typique à laquelle on assiste,  depuis l'Égypte jusqu'à la Chine, au moment ou l'écriture fait son début : elle paraît favoriser l'exploitation des hommes avant leur illumination. Cette exploitation, qui permettait de rassembler des milliers de travailleurs pour les astreindre à des tâches exténuantes, rend mieux compte de la naissance de l'architecture que la relation directe envisagée tout à l'heure.
Si mon hypothèse est exacte, il faut admettre que la fonction primaire de la communication écrite est de faciliter l'asservissement. L'emploi de l'écriture à des fins désintéressées, en vue de tirer des satisfactions intellectuelles et esthétiques, est un résultat secondaire, si même il ne se réduit pas le plus souvent à un moyen pour renforcer, justifier ou dissimuler l'autre. (...)
Regardons plus près de nous : l'action systématique des États européens en faveur de l'instruction obligatoire, qui se développe au XIXè siècle, va de pair avec l'extension du service militaire et de la prolétarisation. La lutte contre l'analphabétisme se confond ainsi avec le renforcement du contrôle des citoyens par le Pouvoir. Car il faut que tous sachent lire pour que ce dernier puisse dire : nul n'est censé ignorer la loi. "

Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques (1955)

dimanche 18 avril 2010

Printemps Cinéma et Poésie à la Vache Bleue !


Projection d'un court métrage, d'un film et lecture de poésie tous les mercredis soirs. Entrée Libre. On se voit à la Vache Bleue ;-)

mercredi 24 février 2010

Un dia de derrota

Il est presque 16 heures. Roberto s’est allongé sur la banquette du restaurant et a fini par s’endormir. Ne pas fermer les yeux, ne pas dormir. Ne surtout pas dormir.
Je dois en être à mon 8ème café.
Au 4ème étage du terminal des Ferries à Calais, devant la grande baie vitrée, j’observe cet enchevêtrement de routes qui partent dans tous les sens, qui passent dessus, dessous, qui tournent et qui retournent. Toutes ces grues qui donnent l’impression d’avoir envahies le port, ces ferries qui chargent et qui déchargent. Et ce trafic ininterrompu de camions en partance ou en provenance de Douvres, sur la rive juste en face, c’est-à-dire de l’autre côté de la Manche et de la frontière.
« Ce qui place les êtres humains après les marchandises, c’est de n’avoir ni argent ni propriétaire »
Je me rappelle avoir souri lorsque j’ai entendu Roberto dire pour la première fois « Je suis né accidentellement au Chili. » J’ai souri comme lorsque l’on dit une vérité, parce que je sais les réactions qu’elle provoque. « Tu ne peux pas dire ça ». Non, la vérité est une chose qu’il ne faut pas dire.
C’était moi qui avais un passeport non valide et expiré, c’est pourtant Roberto qu’on a interrogé, fouillé à nu, et privé de liberté pendant 4 heures.
C’était moi qui n’étais pas en règle, c’est pourtant Roberto qu’on a soupçonné, photographié, dont on a pris les empreintes digitales, pour finalement lui refuser l’entrée sur le territoire anglais.
Ils voulaient que je prenne le bus seul et que je le laisse là, ça les a dérangé que je reste, que j’attende, que j’essaye de l’aider. Ils n’ont pas cru qu’on soit vraiment amis, qu’il habite vraiment chez moi, qu’on travaille vraiment ensemble sur des projets artistiques.
Ils lui ont refusé l’entrée sous prétexte qu’il n’avait pas d’argent, quand ils ne m’ont même pas posé la question.
La police française nous a finalement raccompagnée hors de la zone frontalière, et nous a planté là, « libres » puisque tout est en règle.
Si vous êtes chiliens et sans argent, que l’on vous interroge pendant 4 heures, que l’on vous prive de liberté, que l’on vous photographie et que l’on prend vos empreintes digitales, c’est que « tout est en règle » . Je me le suis fait répéter 2 fois, en anglais et en français. « Tout va bien, on lui refuse simplement l’entrée au Royaume-Uni. »
« Délit de faciès » opinait le gardien qui nous raccompagnait. « Et ça arrive souvent ? »   « Avec les Anglais oui, déjà 30 depuis ce matin ».  Il était 5 heures et demie …
On est donc loin d’être les seuls, personnes indésirables à se faire délester sur un parking de supermarché à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit, peu importe qu’on ait payé nos billets, que l’on ne sache pas ou l’on est, qu’il fasse froid ou qu’il pleuve, et que l’on ne parle pas un mot de français comme ces 2 lituaniens, camarades d’infortune, avec qui on a continué la route.
Le reste, c’est la galère. La galère et l’attente, quand on n’a pas dormi, pour rejoindre Calais et essayer de savoir quoi faire, ou aller, dans une ville où l’on a jamais mis les pieds et où personne ne semble capable de nous renseigner. On est le problème de personne, on n’intéresse personne, on est de passage et indésirables, je commence à me demander si c’est écrit sur nos gueules.
Quelques heures plus tard, alors que l’on prend un énième bus, je crois apercevoir un groupe de sans papiers sur les marches d’un bâtiment. Je pense à eux qui ne sont légitimes nulle part, indésirables et fautifs partout ; et qui n'ont surtout aucune perspective de pouvoir tôt ou tard se reposer ne serait-ce que quelques heures dans une endroit chauffé, pouvoir enfin dormir tranquillement et "en paix".
On est maintenant au terminal des ferrys, il faut attendre jusqu’à 18 heures et peut-être un bus pour pouvoir rentrer à Paris. Jusque-là, 7 heures de plus à attendre et à errer dans cet immense bâtiment quasi désert. Et ne pas dormir, ne surtout pas s'endormir.
Je crois que je vais reprendre un café.
Roberto est né accidentellement en Chili, tout comme je suis né accidentellement en France. Mais il y des accidents plus graves que d’autres, et ce sont toujours les mêmes qui ont de la chance.

mercredi 17 février 2010

lundi 15 février 2010

Projection au cinéma La Clef mardi 16




Pour ceux qui n'ont toujours pas vu ou qui veulent revoir le documentaire Seguir luchando para seguir existiendo, nous le projetons ce mardi (c'est à dire demain ...) au centre culturel La Clef dans le 5è à Paris.
Le film sera suivit d'un débat avec la participation d'un avocat tout juste revenu du Chili et qui donnera des nouvelles sur la situation des prisonniers politiques Mapuche et sur le procès d'Elena Varela, qu'il a suivit en tant qu'observateur international.

Pan Duro n° 1 !


Le premier numéro de la revue Pan Duro est prêt et téléchargeable au format PDF ici. Il n'y a pour l'instant pas de version française.
On distribuera la version papier de la revue lors des événements qui auront lieu cette semaine.
Stay tuned !

dimanche 7 février 2010

On dit bien que la justice est aveugle

À propos des demandes de libération conditionnelle des militants du groupe Action directe.

Par Jean-Marc Rouillan et Thierry Discepolo, 7 septembre 2007.

Première libérée parmi les anciens membres du groupe Action directe, Joëlle Aubron est morte le 1er mars 2006, dix huit mois après avoir bénéficié d’une suspension de peine pour raisons de santé. Le jeudi 2 août 2007, Nathalie Ménigon a commencé sa vie de semi-liberté ; elle était libérable depuis deux ans, comme deux autres membres du groupe Action directe, Georges Cipriani et Jean-Marc Rouillan [1]. Le délibéré de la deuxième demande de conditionnelle de ce dernier sera rendu le 26 septembre 2007. Seule une perspective historique permet de montrer ce qu’il convient d’appeler une vengeance d’État ; et de mettre à jour la banalisation en matière de répression sociale et politique. Il nous semble important de revenir sur quelques « vieilles histoires » pas seulement françaises pour éclairer quelques pans de notre actualité politique et comprendre la situation française.

« - Croyez-vous que l’assassin du président McKinley soit fou ?
Emma Goldman :
- Il l’est sans doute. Il a tué un homme sans s’appuyer sur la force de la loi. S’il était président des États-Unis, il aurait pu faire ce que McKinley a fait : envoyer son armée aux Philippines pour y tuer des enfants de dix ans. Ce qui aurait été légal. Et parfaitement sensé. » Howard Zinn, En suivant Emma [2]

L’un des deux derniers membres encore détenus de la Fraction Armée Rouge (RAF), Christian Klar, bénéficiera d’un allègement de sa peine de prison, décida le 24 avril un tribunal allemand [3]. Théoriquement libérable à l’expiration de sa période de sûreté, début 2009, il avait demandé la grâce du président Horst Köhler pour anticiper sa sortie – qui lui a été refusée, ainsi qu’à Birgit Hogefeld, autre membre de la RAF, emprisonnée quant à elle depuis 15 ans.

En revanche, l’ancienne militante Eva Haule, condamnée à la prison à vie, été remise en liberté fin août 2007, après 21 ans derrière les barreaux. En février dernier, après 24 ans d’incarcération, c’était le tour de Brigitte Mohnhaupt, également membre de la RAF, d’être libérée à la fin de la période de sûreté dont avait été assortie sa peine. Malgré une virulente campagne de presse, les magistrats n’exigèrent aucun repentir ; il fut simplement jugé qu’elle « ne présentait plus de dangerosité ».À cette occasion, un ancien ministre démocrate-chrétien avoua éprouver de la gêne à la constatation que cette activiste avait accompli une incarcération plus longue qu’Albert Speer, le bras droit d’Hitler.
C’est une évidence qu’après les procès de Nuremberg organisés par l’occupant la justice allemande fut particulièrement clémente avec les génocidaires nazis. Citons trois exemples [4] :

— responsable de la Gestapo et organisateur de la déportation des Juifs de France, Ernst Einrichsohn, ne fut jamais inquiété après-guerre, exerça comme avocat et fut maire d’une petite ville ; finalement condamné à six ans en 1980, il bénéficia d’un aménagement de peine ;
— responsable d’Auschwitz, Walter Dejaco fut l’un des architectes des crématoires : après cinq ans d’emprisonnement en URSS, livré à son pays, il fut acquitté ; dans les années 1970, il affirma ne rien regretter de son passé ;
— Alfonz Goetzfried participa à la « Fête des moissons » organisée par Himmler en novembre 1943, aux cours de laquelle furent assassinées 17 000 personnes ; sa responsabilité personnelle a été reconnue dans au moins 500 meurtres. En mai 1999, Goetzfried fut condamné à dix ans de prison, mais, exempté de peine, il est sorti libre du tribunal.

Le personnel politique et judiciaire allemand a donc emprisonné plus longtemps une militante communiste révolutionnaire des années 1960 qu’un des architectes du IIIe Reich, fils de la grande bourgeoisie, ministre nazi de l’armement et responsable de l’organisation régissant le travail forcé des étrangers. Pareille disproportion de traitement ne relève pas seulement de l’inégalité entre les justiciables, s’ils sont patrons ou ouvriers, hauts commis de l’État ou simples citoyens, riches ou pauvres, fonctionnaires fascistes ou militants révolutionnaires. Elle corrobore une des faces de la fonction judiciaire dans les affaires politiques : la soumission de la justice aux pouvoirs et aux intérêts de la classe au pouvoir dans les démocraties bourgeoises.
De ce côté du Rhin, l’histoire s’écrivit-elle autrement ? Certes, quand ils le purent, les résistants français jugèrent eux-mêmes les collaborateurs tombés entre leurs mains ; et des tribunaux en envoyèrent d’autres au peloton. Toutefois, il s’agit le plus souvent de simples miliciens et des tortionnaires de la rue Lauriston [5]. Si le traitement de haute faveur du préfet Papon sert chez nous d’exemple, le haut personnel de Vichy, jamais réellement inquiété, fut le plus souvent protégé par des patrons comme ceux de Michelin, de L’Oréal ou des principales banques du pays, avec le soutien d’une partie du personnel politique recyclé après la Libération.

Donnons là encore quelques exemples pour éclairer notre propos [6] :

— secrétaire d’État du gouvernement de Pétain, en charge des relations franco-allemandes, Jacques Barnaud obtint un non lieu en 1949 et retrouva son poste à la banque Worms ;
— officier de gendarmerie au camp de Drancy, Paul Barrai fut condamné à deux ans de prison puis relevé de l’indignité nationale moins d’un an plus tard ;
— ministre du Travail de Pétain, signataire du statut des juifs, René Belin bénéficia d’un non lieu devant la Haute Cour puis dirigea la Revue syndicaliste de Force ouvrière et fut élu maire d’une commune de Seine et Marne ;
— secrétaire d’État du gouvernement Laval, Jacques Benoist-Méchin fut condamné à mort, peine commuée à la perpétuité et libéré en 1954, exerçant par la suite des missions dans les pays arabes pour le compte du gouvernement français ;
— volontaire alsacien de la SS et présent lors du massacre d’Oradour-sur-Glane, Georges Boss fut condamné à mort, gracié et libéré cinq ans plus tard ;
— ministre de Pétain, signataire du statut des Juifs, Yves Bouthillier fut condamné à trois ans mais aussitôt libéré ; il travailla dans diverses banques et conseilla Marcel Dassault ;
— inspecteur des renseignements généraux spécialiste des affaires juives de 1942 à 1944, Jean Dides ne fut jamais jugé ; révoqué puis rapidement réintégré à la faveur des débuts de la guerre froide, il fut promu commissaire de police et élu poujadiste en 1956 ;
— organisateur de l’organisation terroriste d’extrême droite « La Cagoule », responsable de la milice du Limousin, Jean Filliol ne fut jamais inquiété et, malgré trois condamnations à mort par contumace, il finit sa carrière directeur général chez l’Oréal ;
— membre du service des Affaires juives, directeur du fichier des Juifs à la préfecture de police, André Tulard a préparé la rafle du Vel’d’hiv’ ; jamais inquiété, il meurt dans son lit en 1967 en conservant son titre de Chevalier de la Légion d’Honneur.

Force est de constater que l’État français fit preuve d’une très grande mansuétude pour beaucoup de criminels de la collaboration. On nous a expliqué qu’il a su être pragmatique, qu’il fallait reconstruire et que l’on ne pouvait se couper de ses « élites ». Le pragmatisme a bon dos. Tout récemment, l’ex-Premier ministre Raymond Barre ne justifiait-il pas le maintien en poste à la Préfecture de Bordeaux de son ancien ministre du Budget Papon ?

À la faveur de la guerre froide, le recyclage devint vite la norme : pendant que les États-Unis récupéraient les savants et les maîtres espions nazis, la France embauchait en masse les cadres des troupes d’élite allemandes pour renforcer son armée, qui allait mener bataille contre les insurrections dans les anciennes colonies où l’on avait – par pragmatisme, là aussi – promis l’autodétermination quand on avait besoin de leur engagement contre les forces de l’Axe.
Dans la traque aux communistes, de l’Empire colonial à la métropole, l’État français ne montra pas trop regardant sur le recrutement au service de l’installation et du maintien des régimes fantoches d’Afrique et d’Asie. Ensuite, les magistrats joueraient leur rôle : organiser l’impunité des forces de l’ordre lors des sanglantes répressions : 30 000 exécutions sommaires d’Algériens à Sétif au printemps 1945 ; et, quelques mois plus tard, 80 000 assassinats de civils à Madagascar. Les historiens estiment à près de 2 millions de morts le bilan de la répression dans les colonies entre mai 1945 et 1962, qui toucha aussi bien les militants anticolonialistes que les populations civiles. Sur le plan judiciaire, les coupables furent systématiquement couverts. Impunité totale [7].

Les lois d’amnistie ne sont pas seulement la règle pour les criminels de guerre au service de l’État. Leur décoration aussi. A-t-on exigé la repentance du ministre tortionnaire Aussaresses, responsable du « Commando O », le plus terrible des escadrons de la mort qui sévit lors de la répression de masse pompeusement baptisée « Bataille d’Alger » ? Celle du général Bigeard qui lui livra personnellement son prisonnier Ben M’Hidi [8] ? Celle des généraux Massu et Schmitt, qui ont couvert les crimes de la soldatesque [9] ?
De droite comme de gauche, indistinctement, les gouvernements n’ont réservé depuis qu’honneurs à ces généraux. À la tête des militaires insurgés d’Alger le 13 mai 1958, le général Massu est un des principaux acteurs du coup d’État gaulliste qui renversa la IVe République. En Mai 68, De Gaulle se réfugiait chez son vieux général, alors en charge des troupes d’occupation en Allemagne : celui-ci l’assura du soutien de l’armée au cas où l’ordre ne serait pas rétabli par la police.

En 1974, le président Giscard d’Estaing et son premier ministre Jacques Chirac nomment Bigeard secrétaire d’État à la Défense pour briser la contestation des comités de soldats dans les régiments de conscrits. Combien ont rappelé que ce bon général donna son nom aux « Crevettes Bigeard », expression emprunte d’humour de salle de garde pour décrire les milliers de prisonniers ficelés au barbelé et jetés des hélicoptères dans la Méditerranée [10].
En 1981, après avoir réhabilité le général Salan et le « quarteron des généraux félons », le président Mitterrand nomma le général Schmitt chef d’État major des forces armées.
Les archives de la justice militaire ne semblent garder la mémoire que d’un seul officier jugé et condamné pour « opérations de police » : le général Paris de Bollardière. Celui-ci n’a toutefois pas participé aux milliers de crimes maquillés mais refusé d’obéir aux ordres et de collaborer à ces forfaits.
La liste de l’impunité institutionnalisée ne pourrait être complète sans mentionner, au moins, les disparitions d’opposants et d’exilés comme Mehdi Ben Barka [11] ou Henry Curiel [12] ; l’indulgence générale dont a bénéficié un Bob Denard, mercenaire pour les services secrets français qui a pu se pavaner sur les plateaux de télévision. Avec l’installation au cœur de l’État du complexe militaro-industriel, la machine à pardonner grandit à la mesure de la machine à punir : interventions militaires au service du pillage des matières premières pour les bénéfices d’Elf, de Total et des autres monopoles miniers ; terreur et corruption sous l’emprise des réseaux Foccart dans les anciennes colonies ; enfin, les coups d’État préparés directement à Paris dans les bureaux ministériels jusqu’au début des années 1990, où les magistrats de l’anti-terrorisme surent dresser un pare-feu à l’inévitable inculpation par le tribunal international des officiers français pour complicité de génocide Rwandais [13].

Lors de la conférence de presse organisée le 26 février 2007 par Défense active, dans le cadre de la compagne de libération des militants d’Action directe, le psychanalyste et ancien membre de la Gauche prolétarienne, Gérard Miller, à la tribune, témoignait parmi d’autres de son soutien [14]. Il fut surtout question de la manière dont il avait dû se justifier.
« Auriez-vous eu le même sursaut de commisération si les militants en question avait appartenu à l’extrême droite ?, lui avait demandé un journaliste.
À quoi Miller répondit :
« Pour que je réponde à cette question, il aurait fallu que l’État vienne lui-même mettre à l’épreuve l’étendue de ma miséricorde en matière de répression antifasciste. Est-ce notre faute si l’on est obligés de constater que, depuis des lustres, les criminels d’extrême droite ont été libérés plus vite que leurs ombres ? Est-ce ma faute si je n’ai jamais eu le temps, hélas, de me mobiliser pour réclamer leur libération ? »

_________________________________________
[1] Joëlle Aubron, Georges Cipriani, Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan ont été condamnés en février 1987 à perpétuité pour l’assassinat de l’ingénieur général de l’armement René Audran, en 1985, et du PDG de Renault Georges Besse, l’année suivante ; Régis Schleicher a été condamné à la perpétuité en 1985 pour la fusillade de l’avenue Trudaine, à Paris, qui, en 1983, fit deux morts et un blessé grave chez les policiers.
[2] H. Zinn, En suivant Emma, Editions Agone, 2007
[3] Christian Klar purge depuis plus de vingt-quatre ans la peine de réclusion à perpétuité pour l’assassinat du juge Siegfried Buback, de son chauffeur et de l’un des ses collaborateurs, du patron des patrons allemands Hanns-Martin Schleyer et du banquier Jürgen Ponto.
[4] Ces exemples ont été tirés de la liste de 1074 noms recensés sur le site « Mémoire juive et éducation ».
[5] Siège de la Gestapo française. Les chiffres de l’épuration sont très contradictoires et contestés, les historiens parlent de 10 000 exécutions dont la moitié avant la Libération et sans jugement.
[6] Voir note 2.
[7] Pour ne citer que le traitement des membres de l’OAS (plusieurs centaines de condamnation) : en 1964, une première amnistie pour les prisonniers condamnés à des peines inférieures à quinze ans ; en 1966, une centaine de condamnés sont graciés puis, une seconde loi d’amnistie efface les condamnations des condamnés libérés ; en 1967, libération du général Jouhaud, condamné à perpétuité ; en 1974, une amnistie complémentaire efface d’autres condamnations pénales ; en 1982, réintégration des officiers survivants dans les cadres de l’armée ; enfin, en 1987, les dernières condamnations encore effectives sont amnistiés.
[8] Ben M’Hidi est considéré comme le Jean Moulin algérien de la résistance au colonialisme français. Après plusieurs jours d’interrogatoire par ses parachutistes, le général Bigeard ordonna qu’il soit livré aux hommes d’Aussaresses pour être liquidé.
[9] Déclaration d’Aussaresses (Le Monde, 3 mai 2001) : « Les autres [prisonniers] dont la nocivité était certaine, ou du moins hautement probable, nous les gardions avec l’idée de les faire parler rapidement avant de nous en débarrasser… La fin de chaque nuit, je relatais les évènements... L’original revenait à Massu et les trois autres copies, une pour le ministre-résident Robert Lacoste, une pour le général Salan, pour mes archives. »
[10] Lire Pierre Vidal-Naquet, Les Crimes de l’armée françaises 1954-1962, La Découverte 1975.
[11] Leader de l’opposition marocaine, Mehdi Ben Barka fut condamné à mort par contumace et exilé à Paris. Le 29 octobre 1965, il est enlevé par des policiers français et assassiné. Parmi les exécutants, on retrouve des membres des réseaux Foccart et de l’OAS ainsi que des anciens de la gestapo française.
[12] Leader communiste égyptien exilé ayant pris fait et cause pour le FLN algérien durant la guerre de libération, Henri Curiel est assassiné à Paris, le 4 mai 1978, par des membres du bras armé du parti gaulliste, Service d’Action civique (SAC), action revendiquée par le groupe Delta du nom des commandos de l’OAS.
[13] Lire Colette Braeckman, « Accusations suspectes contre le régime rwandais », Le Monde diplomatique, janvier 2007.
[14] Jour du vingtième anniversaire de l’arrestation, à Vitry-aux-loges, de Joëlle Aubron, Georges Cipriani, Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan.

mercredi 3 février 2010

Morceau Choisi

Les sentinelles perdues

"Lorsqu'une situation révolutionnaire se produit dans un pays, sans que l'esprit de révolte soit encore assez éveillé dans les masses pour se traduire par des manifestations tumultueuses dans la rue, ou par des émeutes et des soulèvements, c'est par l'action que les minorités parviennent à réveiller ce sentiment d'indépendance et ce souffle d'audace sans lesquels aucune révolution ne saurait s'accomplir.

Hommes de cœur qui ne se contentent pas de paroles, mais qui cherchent à les mettre à exécution, caractères intègres, pour qui l'acte fait un avec l'idée, pour qui la prison, l'exil et la mort sont préférables à une vie restant en désaccord avec leurs principes ; hommes intrépides qui savent qu'il faut oser pour réussir, ce sont les sentinelles perdues qui engagent le combat, bien avant que les masses soient assez excitées pour lever ouvertement le drapeau de l'insurrection et marcher, les armes à la main, à la conquête de leurs droits.

Au milieu des plaintes, des causeries, des discussions théoriques, un acte de révolte, individuel ou collectif, se produit, résumant les aspirations dominantes. Il se peut qu'au premier abord la masse soit indifférente. Tout en admirant le courage de l'individu ou du groupe initiateur, il se peut qu'elle veuille suivre d'abord les sages, les prudents, qui s'empressent de taxer cet acte de "folie" et de dire que "les fous, les têtes brûlées vont tout compromettre." (...)

Quiconque connaît un bout d'histoire et possède un cerveau tant soit peu ordonné, sait parfaitement d'avance qu'une propagande théorique de la Révolution doit se traduire nécessairement par des actes, bien avant que les théoriciens aient décidé que le moment d'agir est venu ; néanmoins, les sages théoriciens se fâchent contre les fous, les excommunient, les vouent à l'anathème. Mais les fous trouvent des sympathies, la masse du peuple applaudit en secret à leur audace et ils trouvent des imitateurs. A mesure que les premiers d'entre eux vont peupler les geôles et les bagnes, d'autres viennent continuer leur œuvre ; les actes de protestation illégale, de révolte et de vengeance se multiplient."

Pierre Kropotkine, L'esprit de révolte

(Le texte complet se trouve dans la bibliothèque libertaire)


mardi 2 février 2010

"Nadie lee, pero igual hagamosla !"

"Personne ne lit, mais on va la faire quand même !" écrivait Roberto lorsqu'il réunissait des livres pour essayer de mettre en place une bibliothèque en ligne. Constat ironico-amer, puisque ce fantasme collectif que l'on appelle le peuple ne lit pas, ou peu, et encore moins sur internet (pas plus qu'il ne lit ce blog d'ailleurs). Les mots ont depuis longtemps perdu la bataille du sex-appeal, et sont décidément hors tendance. Mais pour n'avoir jamais été à la mode, ils ont toujours accompagné les révolutions.

Une bibliothèque libertaire en ligne, avec une quantité non négligeable d'ouvrages et d'auteurs à lire gratuitement. En espérant que certains d'entre vous auront l'envie d'aller fouiller et de faire tourner ce lien.

http://www.bibliolibertaire.org/liste_des_ouvrages.htm

(les textes sont en français, dont certains traduits en anglais et en espagnol)

lundi 1 février 2010

Ce plan Z qui a épouvanté le Chili

Cet article, paru dans le monde diplomatique de décembre dernier, peut être vu comme un complément au Spectre de Pinochet.

(cliquer sur les photos pour lire l'article, découpé en 5 parties)

"SALVADOR ALLENDE PRÉPARAIT UN AUTO-COUP D'ÉTAT SANGLANT"