Ça fait drôle. Un sentiment bizarre, mélange de colère et de résignation. On en veut presque à cette foutue "démocratie" et l'on se sent trahi, une fois de plus.
Les médias chiliens soulignent tous d'une voix unanime le caractère historique de la victoire de Sebastian Pinera, digne représentant de l'élite économique, à l'élection présidentielle chilienne. C'est en effet la première fois depuis 52 ans que la droite arrive au pouvoir par un processus électoral.
Mais quand elle n'avait pas le soutien des urnes, la droite néolibérale avait su trouver de celui de l'armée, en s'assurant au passage de faire perdurer son hégémonie, c’est-à-dire en liquidant de sang froid toute une génération de dirigeants, de syndicalistes et de jeunes aux idées dangereusement progressistes.
Nombre de cadres de la dictature restent en place (dans l'administration, dans l'armée) et l'on sait maintenant un peu mieux dans quelles conditions le pouvoir a été rendu:
" Dans son livre Chili, une démocratie sous tutelle, Portales révèle le « pacte secret de la transition », par lequel les dirigeants de la concertation s’étaient engagés – à la fin du gouvernement militaire – à ne pas altérer l’ordre politique et économique consacré par la constitution de 1980. " De plus, le pacte secret a une conséquence pratique, il impose une « politique des consensus », rendant dépendantes la gauche et la droite dans un système qui rend presque impossible tout changement législatif, et ou la gauche ne peut à elle seule mettre en place quelconque politique significative.
La concertacion, coalition de centre-gauche, prend donc le pouvoir en 1990, mais un pouvoir vidé de sa substance, avec une coalition timide, sans portée politique, puisqu’elle s’engage à ne toucher aucune des fondations laissées par la dictature. Elle est donc, à dessein, programmée à décevoir, à échouer dans son programme de réforme. Les changements sociaux attendront, et le peuple ne verra toujours pas cette gauche pour laquelle il a voté en 1973. Le modèle néolibéral, mais aussi la constitution et les lois répressives restent inchangés.
Le reste est alors l’histoire d’un pays dangereusement schizophrénique qui cherche à tout prix à tourner la page, à se convaincre les choses ont changés, mais qui est incapable d’assumer la moindre remise en cause de l’héritage de Pinochet. Très peu de responsables de la dictature sont réellement inquiétés. La mémoire collective vire à l’amnésie, et lorsque le nouveau pouvoir en place s’intéresse d’un peu trop près aux scandales de la dictature (le cas des Pinochèques en 1993), l’armée descend dans la rue, créant une onde de terreur et réveillant en chacun les souvenirs les plus noirs de la dictature militaire, qui n’avait jamais paru aussi proche. (le fameux Boinazo)
20 ans de gouvernement de centre-gauche plus tard, le constat est amer.
“ La concertacion est une coalition qui ne cherche pas de changements significatifs dans la société, et qui se contente d’administrer, peut-être avec un peu plus de dépenses sociales, le même modèle qu’a laissé la dictature. Cela devient de plus en plus évident, surtout pour les jeunes qui ne se sont pas inscrits pour aller voter, parce qu’ils se rendent compte que ce système ne permet aucun réel changement dans la société chilienne”.
Face à une gauche divisée, démobilisée, la droite revient donc au pouvoir. Mais l’avait-elle vraiment quitté depuis 1973 ? Impossible de ne pas voir dans la défaite de la concertacion l’échec flagrant de la transition démocratique de 1990.
Dur aussi de ne pas apercevoir derrière ce nouveau fracaso de la gauche chilienne le spectre de Pinochet -pourtant bien mort et enterré- mais dont l'encombrant héritage politique ne cesse d'influencer le Chili de ces 20 dernières années.
_____________________________________
Vidéo ajoutée le 30 Janvier
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire