samedi 15 août 2009

Morceau Choisi

" L'ambition de quelques individus d'abord, de quelques classes sociales ensuite, érigea en principe vital l'esclavage et la conquête, et enracina, plus que tout autre, cette terrible idée de la divinité. Dès lors, toute société fut impossible sans, comme base, ces deux institutions : l'Église et l'État. Ces deux fléaux sociaux sont défendus par tous les doctrinaires.
A peine ces institutions apparurent dans le monde que tout à coup deux castes s'organisèrent : celle des prêtres et celle des aristocrates, qui, sans perdre de temps, eurent le soin d'inculquer profondément au peuple asservi l'indispensabilité, l'utilité et la sainteté de l'Église et de l'État.
Tout cela avait pour but de changer l'esclavage brutal en un esclavage légal, prévu, consacré par la volonté de l'État suprême. (...)
Mais si les prêtres, les augures, les aristocrates et les bourgeois, des vieux et nouveaux temps, purent croire sincèrement, ils restèrent quand même sycophantes. On ne peut, en effet, admettre qu'ils aient cru à chacune des absurdités qui constituent la foi et la politique. (...)
Même au temps de l'ignorance et de la superstition générales, il est difficile de supposer que les inventeurs de miracles quotidiens aient été convaincus de la réalité de ces miracles. On peut dire la même chose de la politique, qu'on peut résumer dans la règle suivante : " Il faut subjuguer et spolier le peuple de telle façon qu'il ne se plaigne pas trop haut de son destin, qu'il n'oublie pas de se soumettre et n'ait pas le temps de penser à la résistance et à la révolte. "
Comment donc, après cela, s'imaginer que des gens qui ont changé la politique en un métier et connaissent son but, c'est à dire l'injustice, la violence, le mensonge, l'assassinat , en masse et isolé, puissent croire sincèrement à l'art politique et à la sagesse de l'État générateur de la félicité sociale ? Ils ne peuvent pas être arrivés à ce degré de sottise malgré toute leur cruauté. L'Église et l'État ont été de tous temps de grandes écoles de vices. L'histoire est là pour attester de leurs crimes : partout et toujours le prêtre et l'homme d'État ont été les ennemis et les bourreaux conscients, systématiques, implacables et sanguinaires des peuples. "

In Michel Bakounine, L'Église et l'État

mardi 11 août 2009

L'histoire nous appartient, c'est le peuple qui la fait.

Dernier discours prononcé à la radio par Salvador Allende, président du Chili, alors que l'aviation bombarde le palais présidentiel.

Santiago du Chili, mardi 11 septembre 1973, 9h50 am.



C'est certainement la dernière opportunité que j'ai de vous parler. Les forces armées aériennes ont bombardé les antennes de radio. Mes paroles ne sont pas amères mais déçues. Elles sont la punition morale pour ceux qui ont trahi le serment qu'ils firent. Soldat du Chili, Commandant en chef, associé de l'Amiral Merino, et du général Mendosa, qui hier avait manifesté sa solidarité et sa loyauté au gouvernement, et aujourd'hui s'est nommé Commandant Général des armées. Face à ces évènements, je peux dire aux travailleurs que je ne renoncerai pas. Dans cette étape historique, je paierai par ma vie ma loyauté au peuple. Je vous dis que j'ai la certitude que la graine que l'on à confié au peuple chilien ne pourra pas être détruit définitivement. Ils ont la force, ils pourront nous asservir mais n'éviteront pas les procès sociaux, ni avec le crime, ni avec la force. L'Histoire est à nous, c'est le peuple qui la fait.

Travailleurs de ma patrie, je veux vous remercier pour la loyauté dont vous avez toujours fait preuve, de la confiance que vous avez reposé sur un homme qui a été le seul interprète du grand désir de justice, qui jure avoir pu respecté la constitution et la loi. En ce moment crucial, la dernière chose que je voudrais vous adresser est que j'espère que la leçon sera retenue.

Le capital étranger, l'impérialisme, ont créé le climat qui a cassé les traditions : celles que montrent Scheider et qu'aurait réaffirmé le commandant Araya. C'est de chez lui, avec l'aide étrangère, que celui-ci espérera reconquérir le pouvoir afin de continuer à défendre ses propriétés et ses privilèges. Je voudrais m'adresser à la femme simple de notre terre, à la paysanne qui a cru en nous ; à l'ouvrière qui a travaillé dur et à la mère qui a toujours bien soigné ses enfants. Je m'adresse aux personnels de l'état, à ceux qui depuis des jours travaillent contre le coup d'état, contre ceux qui ne défendent que les avantages d'une société capitaliste. Je m'adresse à la jeunesse, à ceux qui ont chanté et ont transmis leur gaieté et leur esprit de lutte. Je m'adresse aux chiliens, ouvriers, paysans, intellectuels, à tous ceux qui seront persécutés parce que dans notre pays le fascisme est présent déjà depuis un moment. Les attentats terroristes faisant sauter des ponts, coupant les voies ferrées, détruisant les oléoducs et gazoducs ; face au silence de ceux qui avaient l'obligation d'intervenir, l'Histoire les jugera.

Ils vont sûrement faire taire radio Magallanes et vous ne pourrez plus entendre le son métallique de ma voix tranquille. Peu importe, vous continuerez à m'écouter, je serai toujours près de vous, vous aurez au moins le souvenir d'un homme digne qui fut loyal avec la patrie. Le peuple doit se défendre et non pas se sacrifier, il ne doit pas se laisser exterminer et se laisser humilier.

Travailleurs : j'ai confiance au Chili et à son destin. D'autres hommes espèrent plutôt le moment gris et amer où la trahison s'imposerait. Allez de l'avant sachant que bientôt s'ouvriront de grandes avenues où passera l'homme libre pour construire une société meilleure.
Vive le Chili, vive le peuple, vive les travailleurs ! Ce sont mes dernières paroles, j'ai la certitude que mon sacrifice ne sera pas vain et qu'au moins ce sera une punition morale pour la lâcheté et la trahison.


Pour aller un peu plus loin, un documentaire, Salvador Allende, réalisé en 2004 par Patricio Guzman. (espagnol non sous titré ..)

Pas vu, pas pris

Documentaire réalisé par Pierre Carles en 1998 sur les rapports entre les médias et le pouvoir. Initialement commandé, pour être ensuite refusé et censuré par Canal +.




mardi 4 août 2009

Le modèle de contre-insurrection français

Durant les guerres coloniales d'Indochine, du Maroc et de l'Algérie, alors qu'elle combattait des guérillas anticolonialistes, l'armée française a expérimentée une nouvelle technologie de guerre dans la population, une technologie révolutionnaire dans l'histoire de la domination des êtres humains. Ce système de pratiques relevant de la terreur d'Etat a été codifié à travers ce que l'on appelle la " doctrine de la guerre révolutionnaire " (DGR), la guerre anti-subversive ou encore la contre-insurrection. A travers l'idée que l'armée serait le spécialiste et le seul recours en cas d'insurrection généralisée, qu'elle serait le " chirurgien attitré du corps national lorsqu'il est attaqué par le virus révolutionnaire ", la doctrine contre-subversive française associe sept idées :

1. les populations colonisées sont des milieux de prolifération de la subversion révolutionnaire.
2. Le renseignement doit permettre de faire apparaître les hiérarchies parallèles adverses, à tenir, détruire ou remplacer.
3. La terreur permet à l'adversaire de tenir la population, il faut se réapproprier ces principes.
4. Désigner la subversion intérieure permet d'amener la population à soutenir la répression et à y participer.
5. L'action psychologique permet de contrôler les représentations de la population et la guerre psychologique de tromper l'adversaire. L'armée doit être le chirurgien de la société gangrénée.
6. Le quadrillage militaro-policier de l'espace urbain constitue un acte chirurgical radical pour purger les subversifs et immuniser la population colonnisée.
7. La raison d'Etat justifie l'état d'exception et la militarisation du contrôle.

La DGR systématise et rationalise l'emploi d'une série de dispositifs de contrôle, surveillance et répression, dont les traductions concrètes les plus problématiques ne sont toutefois jamais énoncées explicitement dans les textes officiels, même si les historiens en ont depuis retrouvés les traces dans nombre de témoignages et certains documents officiels :

- mise en place d'un système d'exception juridique ;
- quadrillage et recensement : surveillance et contrôle physique et statistique des identités et relations sociales de la population ;
- déplacement et internement : déportations et camps de concentration (mais aussi torture massive et disparitions forcées) ;
- renseignement : mises sur écoutes, infiltrations, retournements de délateurs (et torture) ;
- action psychologique et propagande (manipulation des médias en direction de la population, des troupe, ou de l'étranger) ;
- contre-terrorisme : emploi confidentiel et discrétionnaire des forces spéciales (création de " faux maquis " et de fausses organisations adverses pour justifier la répression, formation de milices paramilitaires pouvant faire office d' "escadrons de la mort " et suppléer les forces spéciales dans le cadre de "coups tordus") ;
- création de groupes d'autodéfense composés d'éléments " indigènes " : destruction des " hiérarchies parallèles de l'organisation politico-administrative (OPA - désigne l'organisation ennemie) et reconstruction de nouvelles hiérarchies par retournements, pressions et pré-sélection des élites locales amenées à gouverner dans l'avenir.

Cette doctrine est globalement réhabilitée depuis la fin des années 1990. Elle avait été enseignée aux armées alliés (sic) dès les années 1950, l'Otan en a développé une version " globale ", désormais déclinée sur tous les continents, et remaniée par ses utilisateurs selons les contextes.

In Carlos Marighela, Manuel du guérillero Urbain