mardi 4 août 2009

Le modèle de contre-insurrection français

Durant les guerres coloniales d'Indochine, du Maroc et de l'Algérie, alors qu'elle combattait des guérillas anticolonialistes, l'armée française a expérimentée une nouvelle technologie de guerre dans la population, une technologie révolutionnaire dans l'histoire de la domination des êtres humains. Ce système de pratiques relevant de la terreur d'Etat a été codifié à travers ce que l'on appelle la " doctrine de la guerre révolutionnaire " (DGR), la guerre anti-subversive ou encore la contre-insurrection. A travers l'idée que l'armée serait le spécialiste et le seul recours en cas d'insurrection généralisée, qu'elle serait le " chirurgien attitré du corps national lorsqu'il est attaqué par le virus révolutionnaire ", la doctrine contre-subversive française associe sept idées :

1. les populations colonisées sont des milieux de prolifération de la subversion révolutionnaire.
2. Le renseignement doit permettre de faire apparaître les hiérarchies parallèles adverses, à tenir, détruire ou remplacer.
3. La terreur permet à l'adversaire de tenir la population, il faut se réapproprier ces principes.
4. Désigner la subversion intérieure permet d'amener la population à soutenir la répression et à y participer.
5. L'action psychologique permet de contrôler les représentations de la population et la guerre psychologique de tromper l'adversaire. L'armée doit être le chirurgien de la société gangrénée.
6. Le quadrillage militaro-policier de l'espace urbain constitue un acte chirurgical radical pour purger les subversifs et immuniser la population colonnisée.
7. La raison d'Etat justifie l'état d'exception et la militarisation du contrôle.

La DGR systématise et rationalise l'emploi d'une série de dispositifs de contrôle, surveillance et répression, dont les traductions concrètes les plus problématiques ne sont toutefois jamais énoncées explicitement dans les textes officiels, même si les historiens en ont depuis retrouvés les traces dans nombre de témoignages et certains documents officiels :

- mise en place d'un système d'exception juridique ;
- quadrillage et recensement : surveillance et contrôle physique et statistique des identités et relations sociales de la population ;
- déplacement et internement : déportations et camps de concentration (mais aussi torture massive et disparitions forcées) ;
- renseignement : mises sur écoutes, infiltrations, retournements de délateurs (et torture) ;
- action psychologique et propagande (manipulation des médias en direction de la population, des troupe, ou de l'étranger) ;
- contre-terrorisme : emploi confidentiel et discrétionnaire des forces spéciales (création de " faux maquis " et de fausses organisations adverses pour justifier la répression, formation de milices paramilitaires pouvant faire office d' "escadrons de la mort " et suppléer les forces spéciales dans le cadre de "coups tordus") ;
- création de groupes d'autodéfense composés d'éléments " indigènes " : destruction des " hiérarchies parallèles de l'organisation politico-administrative (OPA - désigne l'organisation ennemie) et reconstruction de nouvelles hiérarchies par retournements, pressions et pré-sélection des élites locales amenées à gouverner dans l'avenir.

Cette doctrine est globalement réhabilitée depuis la fin des années 1990. Elle avait été enseignée aux armées alliés (sic) dès les années 1950, l'Otan en a développé une version " globale ", désormais déclinée sur tous les continents, et remaniée par ses utilisateurs selons les contextes.

In Carlos Marighela, Manuel du guérillero Urbain

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